BRUNELLESCHI (F.)

BRUNELLESCHI (F.)
BRUNELLESCHI (F.)

Ses contemporains, le rédacteur anonyme de sa biographie et Leon Battista Alberti, considéraient le Florentin Brunelleschi comme le premier artiste «moderne»: celui qui rompt la tradition pour retourner aux sources gréco-romaines où il puise une vigueur créatrice. En fondant une technique nouvelle sur l’étude de l’art antique, Brunelleschi a montré que la culture humaniste, loin d’être seulement littéraire, possédait un contenu scientifique et technologique. Sa rigueur intellectuelle isola Brunelleschi qui n’eut guère, au XVe siècle, de disciples éminents: sa conception de l’Antiquité fut vite dépassée par celle d’Alberti, plus littéraire, et par celle de Donatello, plus dramatique. Mais la haute idée qu’il se faisait de l’architecture en tant qu’espace absolu et en tant que construction à la fois historique et rationnelle sera reprise et développée par Michel-Ange.

Sculpteur puis architecte

Élève de l’orfèvre Lunardo, à Florence, Brunelleschi débuta comme sculpteur. En 1401, il participa au concours pour la seconde porte du baptistère de Florence, en réalisant un relief représentant le sacrifice d’Isaac; jugé ex aequo avec Lorenzo Ghiberti, il renonça à la sculpture. Un voyage à Rome, probablement entre 1404 et 1409, et l’étude des monuments antiques l’orientèrent vers l’architecture. En 1417, il aborda le problème de la construction de la coupole de la cathédrale Sainte-Marie-de-la-Fleur à Florence: les travaux durèrent jusqu’en 1446. Brunelleschi établit les plans de la chapelle Barbadori à Santa Felicità et de l’église San Lorenzo (1418), ainsi que ceux de l’Ospedale degli Innocenti (1419). En 1436, il développa le thème de la basilique de San Lorenzo dans un projet plus complexe pour l’église Santo Spirito, qui ne devait être construite qu’après sa mort. L’année 1434 voit l’élaboration du projet du Tempio degli Angeli, suivi, peu après 1440, de celui de la chapelle des Pazzi. Quant au projet du palais Pitti, il est probablement de lui. On possède encore des renseignements sur des œuvres de mécanique, des constructions civiles et militaires à Pise, Mantoue et Ferrare.

Artiste et ingénieur

Avec Masaccio et Donatello, Brunelleschi fonde un nouveau système de représentation du monde: sa conception géométrique de l’espace (perspective) intéresse aussi la pensée et la recherche scientifique du XVe siècle. Le relief du Sacrifice d’Isaac , composé pour le concours de 1401, révèle déjà l’attitude polémique du jeune sculpteur à l’égard du gothique tardif, sa volonté de se rattacher à la source toscane plus ancienne de Giovanni Pisano, sa nouvelle interprétation des situations historiques comme déterminant une nouvelle image, plus synthétique, de l’espace. C’est avec des procédés inédits de relevés qu’il étudia les monuments antiques de Rome, s’intéressant particulièrement à la disposition planimétrique et aux rapports des éléments, ainsi qu’aux techniques de construction.

Brunelleschi partagea avec les premiers humanistes l’idéal de la cité, témoignage historique et réalité politique; avec Nanni di Banco et Donatello, il prôna le «retour à l’Antiquité», non comme évocation littéraire, mais comme interprétation historique. Il est le premier «spécialiste» de l’application technique: avec lui naît la figure de l’«ingénieur». Il fut l’ami de savants tels que les mathématiciens Giannozzo Manetti et Paolo del Pozzo Toscanelli; ce dernier appliqua les procédés perspectifs de Brunelleschi à la représentation cartographique. Toutes les sources attribuent à Brunelleschi l’invention de la perspective et son application à la peinture; on possède même des descriptions de travaux expérimentaux accomplis dans ce domaine. La perspective de Brunelleschi, qui constitua le fondement théorique du traité De la peinture d’Alberti, présuppose la connaissance de l’abondante littérature traitant de la perspective en tant que science comprenant toute la phénoménologie de la vision. Brunelleschi sépara la perspective de l’optique, en la posant comme une construction et une représentation géométrique de l’espace sur le plan. Appliquée à l’architecture, elle vaut comme principe de la distribution, à intervalles réguliers, des éléments portants, et comme réduction des rapports de poids et de poussées à un système en équilibre.

Les rapports de Brunelleschi avec le milieu artistique florentin sont très importants. Pour le concours de 1401, puis pour la construction de la coupole du dôme, il fut en désaccord avec Ghiberti; à l’humanisme de celui-ci, extension universaliste de la culture du XIVe siècle en un culte littéraire de l’Antiquité, il opposa sa conception de l’Antiquité en tant qu’histoire, de l’histoire en tant que rationalité pure. Cette conception l’opposa même à son ami Donatello, pour qui l’histoire est drame, contraste de passions, ethos populaire. L’influence de Brunelleschi sur la formation picturale de Masaccio fut fondamentale; mais à son tour, dans ses œuvres tardives, Brunelleschi subit l’ascendant de celui-ci. Outre Masaccio, les peintres qui suivent le plus manifestement la leçon de perspective de Brunelleschi sont Filippo Lippi, qui l’interprète cependant dans un sens empirique et naturaliste, et Fra Angelico, qui cherche à la concilier avec la doctrine thomiste de l’espace et de la lumière.

La coupole de Sainte-Marie-de-la-Fleur

La construction de la coupole de la cathédrale de Florence s’est poursuivie tout au long de la carrière de Brunelleschi et en constitue le problème central. La coupole proprement dite fut commencée en 1420 et terminée en 1436; en 1438 fut entreprise la construction des tribunes, corps semi-cylindriques à la base du tambour, destinés à équilibrer le volume de la coupole; le modèle de la lanterne, qui résume, conclut et précise la signification spatiale de l’ensemble, date de 1432.

La coupole de Brunelleschi symbolise la civilisation de la Renaissance. Sa nouveauté est d’ordre à la fois idéologique, urbaniste, formel et technique. La cathédrale de Florence, conçue par Arnolfo di Cambio dans les dernières années du XIIIe siècle et élevée jusqu’au tambour au cours du XIVe siècle (avec de notables modifications par rapport au projet initial), constituait le symbole de la Cité. Au milieu du XIVe siècle, Giotto avait souligné ce caractère avec le haut campanile qui marque le centre idéal et l’axe de la ville. Lorsque Brunelleschi affronte le problème de l’achèvement de la cathédrale, Florence n’est plus une communauté enclose dans ses vieilles murailles, mais un petit État qui étend sa domination ou son influence sur une grande partie de la Toscane. L’artiste veut exprimer cette nouvelle réalité historico-politique dans la forme de la coupole: celle-ci doit résumer, ré-interpréter, récapituler et, en même temps, se poser en tant que construction autonome. Elle sera une forme, la plus «enflée» possible: non pas comme une calotte appuyée sur le corps de l’église, mais comme une structure de «crêtes et de voiles» qui le développe en extension et en hauteur, en rapport avec l’espace urbain et l’espace libre du ciel. Alberti la dit «ample au point de couvrir de son ombre tous les peuples de Toscane». La coupole domine l’espace «politique» de la cité, en constitue le pivot, le met en rapport direct et visible avec l’horizon des collines et l’immense dôme du ciel. Elle exprime aussi la signification historique de la ville et son origine, la coupole étant un élément caractéristique de l’architecture romaine. La coupole de Brunelleschi proportionne, en les équilibrant, les pleins et les vides de l’église; elle développe en hauteur la profondeur longitudinale des nefs, en les reliant aux expansions latérales de la tribune «en forme de fleur». Par la convergence de ses arêtes vers un point central, elle remplit une fonction spatiale: la lanterne en marque l’axe vertical, en suggérant, par les contreforts en éventail, une continuelle rotation des plans.

Cette construction stupéfia par sa nouveauté et l’audace de sa technique: pour la première fois, on construisait une coupole sans la soutenir par des échafaudages en bois. Les expédients techniques que Brunelleschi mit en œuvre à cette fin (par exemple, les assises de briques disposées en arêtes de poisson) sont, en partie, le fruit de ses études relatives aux systèmes de maçonnerie de l’Antiquité: toutefois, la nécessité de l’«autosoutien» était inhérente à la conception d’une coupole qui ne pèse plus sur l’édifice, mais se déploie vers le haut, par la tension de son profil ogival. Cette innovation constitue un tournant décisif: l’architecte n’est plus le chef d’une maîtrise de personnes spécialisées dans les divers travaux, mais l’inventeur et du projet et de la technique de l’exécution. Dans ses autres œuvres, Brunelleschi réduira encore l’autonomie traditionnelle des exécutants: il adaptera la décoration (colonnes, chapiteaux, corniches, etc.) aux types classiques, sans recours aux sculpteurs, ce qui permettra l’exécution rapide de grands projets.

L’influence de Masaccio

Brunelleschi conçoit la perspective comme structure géométrique de l’espace et l’architecture comme représentation rationnelle de cet espace. L’Ospedale degli Innocenti (1419-1444), par son but social même, répond à une double exigence d’urbanisme et de perspective: il devait être le premier côté de la place de l’Annunziata. La gradation des plans et la profondeur des arcades organisent l’unité de l’édifice et de la place encadrée par les perspectives fuyantes de deux rues latérales. À la même époque, dans la chapelle Barbadori à Santa Felicità (1418), se pose le problème important de la couverture d’un espace carré par une coupole. Des membres architectoniques soulignés aux angles suggèrent l’expansion latérale de l’espace: le même motif se retrouve dans la perspective peinte de la Trinité de Masaccio, à Santa Maria Novella (1424 env.), point de rencontre entre les deux artistes. En 1418, le projet de l’église San Lorenzo suscite de nouvelles recherches, telles la simplification planimétrique avec retour au schéma de la basilique, la distribution rythmée des éléments portants, la projection graphique des profondeurs sur des plans au moyen de l’opposition de couleur des corniches et des surfaces, et enfin l’articulation des espaces grâce au modelé des corniches. L’articulation plastique de l’espace peut être observée dans la sacristie: un cube couvert d’une coupole, synthèse de deux schémas de l’architecture classique. Tout en conservant, en l’amplifiant, le schéma de la basilique San Lorenzo, l’église Santo Spirito (projetée en 1436) développe les volumes: continuité de l’espace, disposition en niche des chapelles latérales, confrontation directe des volumes accentués des colonnes avec la cavité des niches. Cette nouvelle conception esthétique de l’espace, obtenue par le jeu des pleins et des vides, révèle l’influence de Masaccio. Celui-ci a aussi inspiré la conception sur plan central du Tempio degli Angeli (resté inachevé).

La synthèse est pleinement réalisée dans la chapelle des Pazzi, espace cubique coiffé d’une coupole et prolongé par les grands vides latéraux, plans parallèles du portique et de la façade intérieure. Le palais Pitti, situé au fond d’une place, offre l’exemple caractéristique d’une surface animée plastiquement, par le rapport des vides, des pleins et des bossages accentués.

Brunelleschi participa à de nombreuses autres constructions; il faut mentionner des œuvres plus techniques, par exemple, dans l’architecture militaire, les bastions de Pise, célèbres pour la nouveauté de leur système défensif. Ce n’est pas au seul «miracle technique» de sa coupole que Brunelleschi doit sa réputation d’«ingénieur», mais à ses nombreuses inventions d’ordre mécanique, telles l’élévation de poids ou les déviations de cours d’eau.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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